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La paresse au cinéma




Il est inconcevable à quel point l’homme est naturellement paresseux. On dirait qu’il ne vit que pour dormir, végéter, rester immobile; à peine peut-il se résoudre à se donner les mouvements nécessaires pour s’empêcher de mourir de faim.

Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues (1781)




La paresse serait selon Rousseau un trait de caractère inhérent à l’humanité, qui tendrait si rien n’était entrepris pour inverser la tendance, vers la moins grande tension possible, la décharge de toute tension (Freud) menant à l’immobilité . Seule l’éducation nous rappellera à l’exigence morale de développer nos talents ( Kant.)


La représentation de la paresse est une gageure si le personnage de cinéma, comme tout héros, est tendu vers un but, qui le met en mouvement. Le paresseux ne désirant rien, n’est pas mu par un aiguillon (uneasiness chez Locke), une quête, le désir de changer sa condition. Il risque fort de rendre toute action impossible, et mettre fin au spectacle.

Le moteur du personnage n’est pas alimenté par un désir interne, ce sera donc au monde de rappeler à celui qui déroge aux règles de la morale qu’il faut bien agir.


Mais pourquoi ce refus de l’action ?


Pouvant revendiquer l’esprit cool (Pountain, 2001) à la façon d’un James Dean, (La fureur de vivre, Ray, 1955) le paresseux recherche en bon hédoniste ce qui peut lui apporter du plaisir avec le moins d’efforts possibles. Rien n’est vraiment sérieux. « Il n’y a pas mort d’homme » (réplique de Jean Pierre Darroussin présente dans Mes meilleurs copains, 1988 Poirier https://www.youtube.com/watch?v=Y1II-xujuKU )


On peut également y voir un personnage vaincu par les événements, sombrant dans l’acédie (apathie, absence de désir) voire la mélancolie, baissant les bras devant trop de choses à entreprendre, à la façon du léthargique Oblomov (roman russe de Gontcharov) aristocrate qui quitte rarement son lit, ou encore à la façon du personnage de film de Georges Perec, Un homme qui dort. (1974) qui décrit par le menu chaque détail de sa chambre et s’enferme dans la routine.


Davantage, on peut y voir une forme de résistance passive, à la façon du personnage de Bartelby ( nouvelle de Herman Melville) dont la formule, « I would prefer not to », marque une résistance qui désarme ses contradicteurs. C’est une résistance au travail perçu comme ingrat ou aliénant qui peut l’animer. Ainsi de Philippe Noiret dans Alexandre le bienheureux qui revendique la paresse comme un projet de vie contre la société affairée(Yves Robert, 1967).


Le personnage qui incarne le mieux cette attitude est Lebowski dans le film de Joel et Ethan Coen the Big Lebowski. (1998)Le succès a posteriori du film montre comment les spectateurs se sont reconnus dans cette ode à la paresse et à l’insouciance, contre le violence du monde.


Loser magnifique, répliquant à une insulte par des réparties vaseuses ( « That’s just… like… your opinion, man ! ») Jeffrey est un anti héros, revenu de toutes les luttes politiques et sociales. Il semble un parasite aux yeux des autres, notamment par son riche homonyme Jeffrey Lebowski, qui lui assène: « Your revolution is over M. Lebowski » englobant ainsi les idéaux de mai 68. Les riches ont gagné la partie, la révolution a échoué rappelant ainsi le fameux : « We blew it », de Easy Rider ( Dennis Hopper, 1969). En toile de fond les séquelles du Vietnam (par le vétéran Walter), et la guerre d’Irak en train de se dérouler. Le réel est présent et douloureux, mais ce personnage accablé par la malchance et les ennuis, qui ne cesse de se faire blesser (par des hommes de mains, un policier) et menacer de castration (par des nihilistes nazis, une fouine jetée dans son bain ou un nain armé de ciseaux dans un rêve) traverse les malheurs avec un calme total, sans jamais s’énerver.




Sa robe de chambre est aussi un costume de roi, de celui qui se nomme The Dude, à la façon du maître Loup de La Fontaine, Dudisme, lettre de noblesse de la paresse, du superbe loser, qui défend non pas une idée mais un style, comme le rappelle le cowboy narrateur. Car cet ancien étudiant, militant anti guerre, abreuvé de drogue et qui n’a rien fait de sa vie, a développé un style de vie, qui repose sur le bowling, l’amitié et la détente, c’est-à-dire la mise à distance des problèmes. Son jeu est donc le bowling, absurde répétition de la boule qui frappe les quilles, mais monde obéissant à de règles contrairement à l’enchevêtrement incompréhensible des événements qui adviennent. Exception faites de l’épisode où Maud Lebowski le séduit et le trompe en transformant un acte de plaisir sexuel en acte de reproduction, il est l’homme improductif par excellence ; loser, perdant magnifique, Bartelby des temps modernes. Le film lui même semble coloré par les rêves et les scènes de drogue, le personnage vit dans l’illusion la plus complète.


Forme de nonchalante élégance, de refus du poids du réel, des règles, mise à distance du monde : c’est ainsi malgré lui qu’il est plongé dans une intrigue de film noir, parodie du Grand Sommeil. (Hawks, 1946) mais qu’il regarde se dérouler avec la passivité d’un rêveur devant son cauchemar.

Bref et si comme dit Freud, nous travaillons même lorsque nous dormons ( par le travail du rêve), quel genre de travail mène le paresseux, celui qui refuse toute forme de travail ?

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